Stèle du panneau blanc
Voici comment s’est formé le maquis de Châtel-Montagne, à l’initiative de Roger Kespy et André Mandart, d’après le récit qu’en a fait Raymond Moncorgé dans son livre : « MONTAGNE BOURBONNAISE -1939-1945 »
Le mercredi 7 avril 1943, un homme jeune arrive à pied en vue de cette ferme basse, en contre-bas de la route qui mène de Châtel-Montagne à Roanne, non loin de l’auberge du Panneau Blanc. Il est vêtu d’un caban de marin et porte sur son dos un sac avec son « barda ». Il est fatigué car la route monte et qu’il marche depuis le matin. Son nom est Raymond Moncorgé, il a 19 ans, voici son histoire.
Raymond Moncorgé est né à Montoldre, près de Varennes sur Allier, en 1924. A 17 ans, il entre à l’Ecole des Mécaniciens de la Flotte à Saint-Mandrier, près de Toulon. Il se destine à une carrière dans la marine française, mais la guerre et l’occupation totale du territoire français fin 1942 vont modifier son destin. Les Allemands comptaient bien s’emparer des bateaux de guerre ancrés dans la rade de Toulon, mais les marins français décident de les couler pour éviter qu’ils ne tombent aux mains de l’envahisseur. Raymond participe à ce sabordage et tente, sans succès, de rejoindre le général de Gaulle à Londres. Il revient alors dans son Bourbonnais natal, mais il est maintenant recherché par les Allemands et la police française. Il trouve refuge dans une ferme de Rongères, chez la famille « Rabotot ».
Raymond veut agir mais il est très difficile de contacter la Résistance, car la clandestinité exige beaucoup de précautions. Après avoir tâté le terrain, il rencontre un nommé Joseph Nebout, à Rongères, qui le renvoie vers l’abbé Martin, curé de Gayette, l’hospice des environs de Varennes sur Allier. L’abbé indique à Raymond un contact à Monteignet-sur-l’Andelot, près de Gannat, où il se rend à bicyclette. Une femme le reçoit dans une maison sans dessus dessous, elle vient d’être fouillée par la police, et il faut partir au plus vite, prévenir l’abbé Martin que « le réseau est grillé », qu’il ne faut plus envoyer personne à cette adresse. Raymond va donc retrouver l’abbé qui est fort ennuyé, mais qui lui dit : « Un maquis est en formation dans la région de Châtel, voici ce que tu dois faire. » Il envoie Raymond à Varennes, chez un teinturier nommé Bongheon, qui va lui indiquer comment rejoindre ce maquis. Tout d’abord, il lui dessine un plan pour trouver le lieu de rendez-vous, et lui remet la moitié d’un billet de cinq francs, « cent sous » comme on disait à l’époque. Après avoir bien expliqué la marche à suivre, il brûle par précaution le plan dessiné sur une feuille et souhaite bonne chance à Raymond.
Le 6 avril 1943, Raymond quitte la famille Rabotot pour l’aventure des maquis.Il se rend à pied à Vichy puis monte dans le petit train appelé « le tacot »qui conduit jusqu’au Mayet de Montagne. Le tacot, tout tremblant et cahotant, parvient quand même au Mayet où Raymond descend, dans une région qu’il ne connaît pas. Coucher à l’hôtel était impossible pour une personne recherchée, car il fallait montrer ses papiers d’identité. Raymond évite aussi de traverser le centre-ville pour ne pas risquer de contrôle. Au hasard, il frappe à la porte d’une ferme aux abords du Mayet, on lui ouvre avec méfiance, mais le propriétaire accepte de lui offrir à manger et de l’héberger dans sa grange.
Au petit matin du 7 avril, Raymond Moncorgé se met en route pour Châtel-Montagne, d’un bon pas. Il apprécie la beauté des paysages, mais la fatigue se fait sentir, et la marche devient plus pénible. Il a en tête les points de repère indiqués par le teinturier de Varennes. Il traverse Châtel, puis Chargueraud, dès lors, il redouble de vigilance. Enfin apparaît la ferme du rendez-vous, il ne peut pas se tromper, c’est bien l’endroit décrit par le teinturier de Varennes.
Il respire un grand coup et frappe à la porte, une femme jeune et grande lui ouvre et lui demande ce qu’il veut. Raymond lui montre le demi-billet de cinq francs, mais la femme, qui s’appelle Mélanie Mandart, semble ne pas comprendre. Raymond insiste et Mélanie lui demande d’attendre devant la porte. Un bon moment après, elle revient et paraît détendue : « C’est bon, entre ». Elle a vérifié que la moitié de billet correspondait bien à celle qu’elle possédait déjà, c’était ça le code pour entrer dans la maquis. Mélanie et Raymond font connaissance et partagent un copieux repas, malgré les difficultés de ravitaillement dues à l’occupation. Mélanie annonce ensuite à Raymond qu’elle va le conduire là où il pourra se reposer, et lui tend deux couvertures. Elle le précède dans les prés et les bois jusqu’à une petite clairière où se trouve une cabane faite de branches de sapin. « Tu seras bien dans ton lit de fougères, on va t’apporter la soupe ce soir. Au revoir et à bientôt. » Raymond explore les environs immédiats, constitués de forêts et de buissons, et commence à trouver le temps long, quand, à la tombée de la nuit, un jeune homme arrive avec un panier de provisions. Il s’appelle Julien Charpentier, dit « Toto » dans la Résistance, et fait partie du maquis. C’est lui qui assure la liaison avec le chef. Toto parti, Raymond s’installe dans son lit de fougères et dort profondément après une journée épuisante.
Le lendemain, rien ne se passe à part les ravitaillements de Toto, et Raymond s’impatiente de plus en plus. Au matin du troisième jour, il décide de mettre fin à cette situation. Sans hésiter, il met le feu à la cabane qui brûle entièrement. A son arrivée, Toto est tout surpris et annonce que le chef va être très en colère. Il repart le chercher. Peu de temps après, le chef arrive avec Toto, il s’agit d’André Mandart, le mari de Mélanie. Voyant les restes fumants de la cabane, il se met à rire et s’exclame : « Eh bien celui-ci c’est un bon ! Prends ton balluchon et viens avec nous. ».
Voici comment Raymond Moncorgé est entré au maquis de Châtel-Montagne, après une mise à l’épreuve un peu particulière ; il va vivre bien des aventures avec ses nouveaux camarades de combat dans cette Montagne Bourbonnaise dont il a si bien décrit l’esprit de solidarité.